par Jean-Claude VILLANUEVA, Psychologue du Sport
La notion,
maintenant devenue traditionnelle, de conduite dopante, doping behaviour
en anglais, fut proposée en 1997[1] par Patrick Laure, médecin
de santé publique Français.
Depuis 2000, sur le plan national
cette notion a été largement utilisé lors de la campagne de prévention de la
Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT)
"Drogues. Savoir plus, risquer moins"[[2]]
Aujourd’hui cette notion est très
répandue dans le champ de la prévention des consommations de substances,
notamment auprès des sportifs, des étudiants et dans les entreprises et parait
indispensable à la prévention du dopage proprement dit.
Mais n’y aurait-il pas là, dans le
biais de cette conception qui ne distingue pas entre le dopage - qui selon sa
définition originelle ne cible que le champ sportif - et les conduites de
consommation de substance pour quelconque performance, sportive ou non, et qui
brasse ainsi tout public en une prévention qui se veut primaire[3], une erreur ?
Une erreur que la prévention
quaternaire[4]
nous révèlerait ? - prévention qui interroge son intention prophylactique
en tentant de répondre de ce premier principe «primum non nocere» (d’abord ne
pas nuire).
Définition traditionnelle de la notion de conduite dopante
Qu’est-ce donc
qu’une conduite dopante selon
cette conception, conception que nous pourrions considérée maintenant comme traditionnelle ?
Une conduite dopante serait une
consommation de substance à des fins de performance[].
Plus précisément, selon la définition de P.
Laure : « une conduite dopante se définit
par la consommation d un produit pour affronter ou pour surmonter un obstacle
réel ou ressenti par l usager ou par son entourage dans un but de performance
».
Dans cette définition la notion de
"consommation" se détermine
en terme d’usage - consommation sans
préjudice sanitaire, ni social-, d’abus
- avec préjudice sanitaire ou social- ou de
dépendance - difficulté à s'abstenir volontairement de la substance, avec
dommage sanitaire ou social.
Nous remarquerons que cette conception
s’aligne très précisément sur la catégorisation classique, quoique résumée, du
Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM IV) ou de la Classification
internationale des maladies (CIM 10), concernant la clinique des toxicomanies
et de la dépendance.
Mais peut-on s’autoriser ainsi à rabattre la
conduite dopante, qui relève comme sa formulation l’indique, d’une conduite,
sur celle d’une maladie caractérisée par la dépendance, l’addiction à une
consommation ?
Si P. Laure cherche à s’affranchir du produit
pour apprécier la conduite dopante comme processus, c’est tout compte fait pour
en réduire d’avantage encore la problématique à un trouble psychiatrique de
consommation et en décliner les variations selon finalement une simple mesure
très quantitative distinguant l’usage, de l’abus, de la dépendance et en
appliquant cette grille de lecture à toute consommation de produit.
Cet affranchissement n’est donc que de
surface, car si la spécificité du produit n’importe plus, c’est sa dose ou sa
fréquence, c'est-à-dire sa posologie qui ferait toute la différence qualitative
pour expliquer le dopage comme processus.
Rien d’étonnant donc que cette définition ne
puisse se passer du terme de « substance »
qui dans cette définition serait un complément alimentaire, un médicament ou un
stupéfiant, et rien de surprenant qu’elle ne fasse aucune place à d’autres méthodes dopantes, dans la substantivation
du participe présent du verbe « doper » que consacre la formulation
de cette notion.
Le mot "obstacle" renverrait à toute situation jugée problématique,
comme un examen scolaire, un entretien d'embauche, devoir comparaître en public,
faire des heures supplémentaires de travail, etc. Cet obstacle pourrait-être
réel, objectif, ou ressenti, perçu, vécu comme tel par la personne directement
concernée ou par son entourage. Dans ce dernier cas, il s'agirait alors d'une conduite dopante par
procuration (parents, conjoints...)
Enfin le terme de "performance" serait à entendre dans cette définition comme
finalité de la conduite dopante. Elle pourrait-être tout aussi physique
qu’intellectuelle, et ne se limiterait pas au record, elle pourrait ainsi
concerner toute réalisation humaine en situation ordinaire. Nous pourrions
remarquer que le mot « but »
conviendrait alors tout aussi bien, et nous demander si ce n’est-ce pas ainsi
galvauder un terme qui recèle quand même son importance ?
Au regard de cette définition de la
conduite dopante, le dopage serait pour conclure sur cette conception, une
conduite dopante particulière dans la
mesure où, le dopage lui, ne concernerait qu'une part de la population générale (les sportifs), qu’une part de l'ensemble des substances
existantes, celles qui figurent sur la liste de substances interdites par l'Agence
mondiale antidopage, et parce qu'il ferait l'objet d'une règlementation à part qui l'interdit.
Or nous verrons que cette relation
d’inclusion du dopage dans les conduites dopantes, ou plutôt des conduites
dites dopantes, qui seraient plus générales, faisant du dopage une conduite
dopante particulière, mais conduite dopante tout de même au nom précisément d’un processus commun tel que nous en avons rendu
compte, phagocyte la spécificité du dopage comme conduite précisément.
Essai pour un renouvellement conceptuel de la notion de conduite
dopante
Nous
pensons que la notion de conduite dopante telle que définie précédemment,
c'est-à-dire, telle qu’elle relèverait d’un processus commun au dopage, se
déclinant selon la clinique de la dépendance, est une notion contre-productive
dans la prévention du dopage en tant que tel[5], c'est-à-dire en tant
qu’elle s’adresse d’abord au sujet sportif. Si son intérêt est d’engendrer un
mouvement de suspension de la réflexion, un mouvement de vigilance que se doit
un sujet en tant que sportif, dans ses consommations[6], c’est aussi très vite en
tant que sportif que ce sujet se trouve immanquablement au travers de cette
notion molle de conduite dopante, accusé et coupable, dés lors qu’en tant
qu’humain, il consomme, s’alimente et se restaure non sans sa dimension
psychique.
Et oui, le sportif, à l’instar de
tout homme, contrairement à l’amibe ne consomme pas sans cervelle. Comment pourrait-il en tant que sportif
consommer en se coupant de sa vie psychique et intentionnelle[7], de ses aspirations et de
son désir de performance. Du coup plutôt que de s’en prendre au sujet sportif
directement, c’est in fine la notion de performance en elle-même, qui devient dans
la conception traditionnelle de conduite dopante, la bête à abattre. Ce qui
reste inconcevable tout au moins et justement pour le sujet sportif.
Non, la prévention
du dopage ne peut se confondre avec un évitement de la situation sportive et encore moins
avec un désinvestissement de la recherche de performance, car ce serait comme
le dit l’expression populaire « jeter
le bébé avec l’eau du bain ».
Si la notion traditionnelle
de conduite dopante, qui réinterroge fondamentalement les limites du dopage, a
pu apparaître heuristique sur le plan de la recherche fondamentale, cette
notion reste absolument inappropriée des lors qu’elle est intégrée à une
communication de prévention du dopage, notamment parce que ce qui est questionnement légitime du chercheur devient en
réalité déni des limites symboliques (cf. la liste des produits dopants) qui sont appliquées sur le terrain sportif,
ouvrant ainsi sur le plan représentationnel (conscient ou inconscient) à une sorte de permissivité perverse pour le
sujet sportif « je sais bien (que c’est interdit) mais quand
même… » .
Autrement dit, dans
le renouvellement conceptuel que nous proposons, il n’y aurait finalement de
conduite dopante que de dopage. Si une conduite n’est pas du dopage, si une
conduite ne trahie par la législation antidopage, alors elle ne peut- (ou ne
doit-) être qualifiée de conduite dopante. Ce qui ne signifie pas que telle
conduite de consommation pour affronter une épreuve de la vie soit une bonne
conduite ! Il s’agit de dénoncer la qualification de « dopante »
d’une telle conduite hors d’un champ où ne sévit pas l’interdit[8], car nous voyons bien que
ce que tente d’importer, à partir du terme dopage, cette expression de conduite
dopante, est le caractère préjudiciable imputable aux conduites ainsi désignées,
à tord. De telles conduites, en effet, peuvent-être de mauvaises conduites, de
mauvaises conduites de préparation physique et mentale – de surentrainement -,
diététiques, alimentaires, de santé, en somme de mauvaises conduites, s’opposant donc à l’authentique
performance. Mais pourquoi user du signifiant « dopantes »[9] pour qualifier des
conduites inadaptées, inappropriées, dangereuses, mais qui ne sont pas du
dopage ?
Pourquoi cette
connotation[10] ?
Du reste nommer des
conduites, notamment considérées négatives, par leur juste qualification
représente le premier pas sur le chemin de leur annihilation, - ne devons-nous
pas de prime abord identifier ce contre quoi on lutte ? - et au fond
autant de pistes de travail pour repérer les alternatives d’optimisation de la
performance sportive parant, contre venant au vrai Dopage.
En revanche, dans
cette nouvelle conception des conduites dopantes qui respecte la définition
juridique du dopage, tout dopage ne serait pas nécessairement une conduite
dopante. Le terme de conduite importe
étymologiquement l’idée de décision (« duire », duce, duc, caput,
tête, chef) et donc d’un comportement impliquant des processus psychiques
élaborés et des représentations conscientes. Certaines formes de dopage sont
plutôt relatives à une négligence de certaines conduites comme notamment celles
de se tenir suffisamment informé et de réserver une attention particulière à sa
consommation conformément à son statut de sportif. Une part conséquente du
Dopage relève donc non pas tant de la notion de conduite, mais bien plutôt
d’une anti-conduite, d’une absence, d’un manque de conduite, d’un manque
d’intégration, d’appropriation de conduites sportives, déterminé par un défaut
d’identisation du sujet sportif, d’éducation au sport.
S’il s’agissait de
réhabiliter la notion de conduite dopante hors de l’enceinte sportive, ce serait
alors, en en élargissant métaphoriquement la définition juridique du dopage et à la condition sine qua non, d’en reprendre le
sens fondamental pour désigner : un comportement en partie conscient, articulé aux
représentations du rapport interdit/transgression, visant à améliorer les
performances de toutes activités formalisées, standardisées, mesurables,
comparables, dans un but de classement compétitif duquel dépend un quelconque
intérêt pour les participants, en utilisant tous moyens autres que
l’activité proprement dite (sportives ou
non sportives, donc) et répertoriés
comme interdits (pharmacologiques et autres méthodes…).
Ces conduites
dopantes telles que définies précédemment comme conduite de dopage seraient
établies comme illicites, parce que considérées comme engendrant des conditions
compétitives non équitables entre les participants et/ou parce que nuisibles
pour la santé, et ce seraient aux différentes institutions en charge de
l’organisation réglementaire des conditions de participations de définir les
limites de leurs dopages respectifs. Ces conduites qui ne seraient pas
« tant dopantes » que de dopage (il n’est pas dit qu’une conduite de
dopage soit réellement dopante) relèveraient donc d’un Dopage caractérisé en
chacun des lieux compétitifs envisagés (concours d’entré, professionnels,
examens universitaires...).
En ce sens il n’y
aurait plus de pléonasme à parler de dopage sportif…
[1] Laure
P. Les gélules de la performance. Paris : Ellipses, 1997
[2]
Drogues. Savoir plus, risquer moins. Drogues et dépendances, le livre
d'information. Paris : MILDT, 2000.
[3] Il
est maintenant usuel de distinguer en terme de prévention, trois modalités, une
prévention dite primaire, une prévention dite secondaire et une prévention dite
tertiaire. Ces modalités se déterminant selon un axe paradigmatique temporel
relatif au point de rencontre entre le moment d’intervention préventif et le
danger contre lequel ce moment se pose, avant
qu’il n’advienne (primaire), pendant (secondaire) quand il est déjà là,
ou après (tertiaire) pour en limiter les effets.
[4] La
notion de prévention quaternaire ne reprend pas à son compte ce paradigme
chronologique et se base sur un autre paradigme, permettant un positionnement
autocritique. Ce paradigme étant celui qui consacre la notion de relation
(relation intersubjectives entre préventologue et bénéficiaire et
intra-subjectives entre les représentations que chacun des protagonistes se
fait, respectivement du danger à prévenir et de son rapport à ce même danger.
Jamoulle M. [Computer and
Computerisation in General Practice] « Information et Informatisation en
médecine générale » in : Les Informag-iciens. : Presses Universitaires de Namur
; 1986 :193-209.
[5]
C'est-à-dire tel qu’il se définit essentiellement en rapport en ce qu’en
définit la loi commune.
[6]
Article…du code mondial antidopage….
[7] C’est
en effet, en terme d’ « intention » que P.Laure s'exprime.
[8] Ce
qui ne veut pas tant dire que de nouveaux champs d’interdiction ne puissent pas
apparaître dans l’avenir…
[9]
« Dopante » : adjectif verbal construit à partir du participe
présent « dopant » issu du verbe « doper ».
[10]
Selon la thèse du Docteur Francis Heckel, médecin du sport dans les années
1920, précéderait à la notion de dopage, celle de « doping to lose »
(littéralement : le dopage pour perdre) : « Autrefois, en
Angleterre, le verbe "to dope" signifiait abrutir un matelot par
quelques lampées massives de gin dans les cabarets des ports de mer jusqu'à le
mettre dans un état d'inconscience suffisant pour qu'il signe son
embarquement." Cette pratique, somme toute,
d’ « empoisonnement », se serait exportée sur le terrain sportif,
dans les courses hippiques. Francis Heckel rapporte l’histoire d’un lad
d'écurie qui "abrutissait le cheval de l'écurie concurrente en lui
injectant subrepticement sous la peau un doping néfaste". Le doping. HECKEL.
F. L'Escrime et le Tir, 1927.
2 commentaires:
Néanmoins, il manque quand même un concept pour qualifier le processus selon lequel, un sportif ou un non sportif, devient dépendant d'une substance artificielle, interdite ou non, pour se sentir performant. On observe bien chez les sportifs de nettes différences dans le positionnement vis à vis d'un apport extérieur. Pour certains, l'aide d'une substance est absolument nécessaire, même s'il s'agit de quelque chose de totalement inutile, pour d'autres, l'idée de prendre un produit modifiant les performances est vécu comme une dépossession totale de leur compétence. Quel pourrait être le terme idoine pour différencier ces positionnements ?
Pour la remarque /
Non ! Il ne manque pas de concept s'agissant de définir un processus avec cette nouvelle conception :
Devenir dépendant de...pour se sentir...= addiction. Le concept existe déjà !
Pour la question /
Mais pourquoi chercher "le" terme pour différencier...Chercher "le" terme ne peut différencier, mais seulement unir en présupposant une continuité à partir d'une extrapolation, ce que représente précisément la "notion de conduite dopante" comme concept.
Il n'y donc pas à chercher "le" mais les termes adaptés pour différencier une multiplicité de positionnements. Et il en existe déjà. Par exemple, pour ceux décrits dans la question, indépendamment de l'addiction qui peut ou pas y être associée, nous pouvons reconnaître une position fétichiste pour le premier et obsessionnelle pour le second.
Jean-Claude VILLANUEVA
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